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Un regard d’Initiatives et Changement France sur la situation politique en France

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Les Français orphelins d'une famille ?

La dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République a surpris. Mais elle n’aura été qu’une réaction épidermique à un phénomène de fond qui traverse la société française comme bien d’autres sociétés occidentales : la montée du ressentiment, la peur du déclassement, l’angoisse de ne plus être porté par un projet collectif.

Au fond, nous avons pour beaucoup le sentiment de perdre pied et de ne plus faire partie d’une même famille.

La famille, au sens premier et au sens métaphorique, est le lieu de la fraternité. N'est-il pas injuste de tirer à boulets rouges sur des électeurs tentés par les extrêmes de l’échiquier politique, car ils crient ainsi en silence leur colère de ne plus se sentir membres de la famille ? La dérive de la société française vers des archipels de plus en plus éloignés les uns des autres a été suffisamment décrite par un analyste de talent, Jérôme Fourquet, pour qu’il soit besoin d’y revenir.

Quand les tricheries, la manipulation, l’égoïsme et le cynisme, conscients ou inconscients, ne sont plus honteux, ils minent la confiance qui devrait régner au sein d’une même famille. En particulier quand ce sont les puissants qui s’autorisent ces dérives. Quand les donneurs de leçons de maîtrise de la dépense publique ne s’interrogent pas sur les bénéfices qu’ils en tirent pour eux-mêmes, ou quand les hérauts des vertus écologiques ne se préoccupent pas de leur propre empreinte écologique comparée à celle de leur voisin, il y a quelque chose qui sonne faux. L’absence de cohérence entre son dire et son faire délite le pacte social.

Dans une famille, les enfants sont chacun différents, ils n’auront pas la même trajectoire de vie, ils n’auront peut-être pas les mêmes opinions. Mais ils seront tous reconnus et aimés chacun pour ce qu’ils sont. Même si les conflits ne sont pas absents, même si lorsqu’il faut faire la place à une sœur ou à un frère adoptif, la tension peut monter. Il y a quelque chose qui transcende les dissensus, un lien fraternel qui unit et qui entraîne. C’est de cette fraternité dont les Français se sentent orphelins.

En misant aujourd’hui sur notre seconde famille qu’est la nation, les mouvements "patriotes" ou "souverainistes" répondent à une telle attente en même temps qu’ils l’instrumentalisent. La nation n'est pas notre seule famille, si nécessaire soit celle-ci comme espace de solidarité et d'attachement. Car sans même en avoir conscience au quotidien, nous sommes membres d’une même famille humaine.

Sauf à se passer de vêtements bon marché, à se priver d’une bonne part du personnel hospitalier, à ne plus consommer de café ou de chocolat, à vivre sans nos chers smartphones, à ignorer les effets bien visibles du changement climatique, nous vivons comme jamais dans l'histoire de l'humanité en profonde interdépendance avec nos frères et sœurs terriens, qui sont parfois nos esclaves… Des régulations sont nécessaires, mais nous ne pouvons pas nous barricader derrière nos frontières !

Et puis, avec la crise écologique qui s’accélère, il est grand temps que l’espèce humaine reconnaisse combien elle est dépendante des autres vivants pour assurer sa propre pérennité. Le grand humaniste qu’était Albert Schweitzer ne disait pas autre chose en son temps quand il appelait à une éthique du respect de la vie.

L'histoire montre que nous savons faire avancer la famille humaine. Imaginons une Europe qui n’aurait pas connu la réconciliation franco-allemande, imaginons un monde dans lequel la décolonisation n’aurait pas été engagée, ce n’est pas à deux conflits majeurs que nous ferions face aujourd’hui, mais à trois, quatre ou cinq en même temps. La guerre renaît en Europe, de nouveaux impérialismes se font jour, de nouveaux égoïsmes alimentés par les bouleversements du temps minent les vieilles démocraties comme le Royaume Uni, les Etats-Unis ou la France. Mais le pire ne l’emporte jamais dans la durée.

C’est notre conviction à Initiatives et Changement. Changer soi-même pour que le monde change, c’est accepter l’humilité de commencer par soi-même. C’est s’interroger sur ses propres motivations, sur ses propres manquements, avant d’aller incriminer les autres. C’est miser sur ce préalable de la non-indifférence de l’un pour l’autre, comme nous y invite Emmanuel Lévinas. C’est croire en la famille humaine au sein de la famille du vivant, par-delà le tumulte des conflits et des différences qui nous séparent.

Hubert de Montaignac, président, et Pierre Stussi, trésorier d’Initiatives et Changement France

Le mouvement international Initiatives et Changement a été fondé en 1938 sous le nom de Réarmement moral. Sa conviction est que les conditions d’une paix durable passent par l’écoute de sa conscience et une relation authentique à l’autre, pour guérir les blessures et créer la confiance.