Observatoire des droits de l’homme au Rwanda (ODHR)
Déclaration N° 01/2025 – Note de situation sur la guerre à l’Est de la RDC et les grands Lacs
Munyandilikirwa Laurent (Président) de l’ODHR
Paris 15 février 2025
Les violations graves des droits humains, conséquence de l’impunité des dirigeants protégés issus des rébellions cycliques entretenues par des pays voisins.
L’ODHR suit avec inquiétude la situation dans la région des grands lacs et particulièrement la situation à l’Est de la République Démocratique du Congo où les conflits armés entretenus pas des pays voisins sous couvert de rébellion sont récurrents.
Des déplacements forcés des populations et des massacres continus à huis clos se perpétuent à l’Est de la RDC sous les tergiversations calculées des dirigeants occidentaux ou de la soi- disant « communauté internationale. La mollesse des déclarations des pays occidentaux ou de la communauté internationale est déconcertante dans la guerre qui sévit à l’Est de la RDC. Ce qui laisse penser que les puissants de ce monde ont avalisé ce conflit. L’ONU, l’Union Européenne et l’Union Africaine et même la Communauté d'Afrique de l'Est (CAE) où la RDC est membre, ne restent que dans les dénonciations non accompagnées de mesures dissuasives comme des sanctions.
Résurgence du M23, une rébellion très protégée par les voisins puissants dans la région
La rébellion M23 née en 2012 avait été battue en novembre 2013 et ses soldats avaient été obligés de fuir vers l’Ouganda et le Rwanda. Ces deux pays qui apportent le soutien logistique et servent de base arrière aux différentes rébellions contre la RDC dans sa partie orientale, sont dirigés durant plusieurs décennies par des anciens rebelles soutenus fortement par des pays occidentaux et des institutions internationales et qui se sont garanti l’impunité totale sur les crimes commis pendant la rébellion. Le Rwanda nie toujours la présence de ses troupes en RDC mais leurs présences sont confirmées dans différents rapports des experts de l’ONU, et sur le terrain, par la population ; et à Kigali les médias et les autorités ne manquent pas de s’en vanter.
À l’époque cette rébellion avait été caractérisée par des violations graves du droit humanitaire dont des déplacements forcés des populations chiffrées à des dizaines de milliers, des massacres et des viols et des recrutements des enfants. Sa résurgence en juillet 2022 a montré que les pays qui les ont hébergés sont toujours avec eux dans leurs visées expansionnistes.
Les attaques des localités, des cités et des villes par RDF et le M23 autour de Goma au Nord Kivu depuis juillet 2022 et les combats dans la ville de Goma depuis le 26 janvier 2025 ont été caractérisés par des violations graves du droit humanitaire. Ils ont été dénoncés par les défenseurs des droits humains et confirmés par différents rapports des experts des Nations Unies. Ces combats se poursuivent vers le Sud Kivu avec la prise de l’aéroport local de Kavumu et de la ville Bukavu malgré les demandes insistantes de cessez-le-feu appuyées de multiples rapports.
D’autres situations de conflits non moindres se retrouvent plus au sud dans la région des montagnes de Fizi non loin d’Uvira avec d’autres rébellions notamment TWIRWANEHO et RED TABARA qui est une rébellion comprenant pour la plupart des réfugiés burundais commanditée par le régime de Kigali dans l’intention de déstabiliser son voisin du Sud, le Burundi.
Le M23 et ses soutiens menacent de porter la guerre à Kinshasa nonobstant les simulacres de pressions et de condamnations d’une communauté internationale divisée quand il s’agit de prendre des sanctions contre le Rwanda et les dirigeants du M23. L’Union Africaine, à travers la session de son Conseil de Paix et de Sécurité (CPS)1 tenue le 14 février 2025 est aussi divisée et incapable de prendre des décisions sur l’agression rwandaise et la guerre en RDC.
Les négociations pour arrêter les combats s’enlisent à Luanda, le Rwanda et la RDC restant chacun sur ses positions. Les décisions des réunions du Conseil de sécurité des Nations Unies2 tenues les 26 et 28 janvier 2025 restent sans effets. Les initiatives locales de médiation pour la paix, portées par des confessions religieuses prennent le relai. Ils ont rencontré ceux qui se disent responsables de la rébellion le 12 février à Goma et le président rwandais le 13 février 20253 alors que ce dernier affirme haut et fort que ses troupes ne sont pas en RDC.
Prise des Villes de Goma et de Bukavu et massacres à huis clos dans les zones occupées
Des combats se poursuivent malgré la présence inefficace ou complice de la MONUSCO dont les soldats sont malmenés et souvent tués par la rébellion soutenue par le Rwanda. Ils s’intensifient malgré l’intervention disqualifiée des soldats de l’EAC suivie de celle du SAMIRDC qui peinent aussi à se positionner. La mission SAMIDRC a déjà perdu plus d’une dizaine de soldats de la paix dans les combats d’occupation de la cité de Sake et de la Ville de Goma. Et enfin l’intervention de l’armée du Burundi qui se bat aux cotés des FARDC dans un cadre de coopération bilatérale.
L’armée rwandaise RDF et le M23, galvanisés par la prise de la ville de Goma, poursuivent leurs combats au Sud Kivu. Les FARDC ayant fui devant l’avancée de l’ennemi, les troupes de RDF/M23 viennent de prendre ce 14 février 2025 l’aéroport de Kavumu et la Ville de Bukavu sans se battre.
Dans toutes les localités et villes conquises à l’arme et à coup de mensonge, l’armée rwandaise (RDF) et le M23 ont massacré des populations sans défense (les femmes, les hommes et les enfants). Pour les seuls combats pour la prise de la Ville de Goma depuis le 26 janvier 2025, les chiffres avancent le nombre de trois mille4 personnes tuées alors que les responsables de l’Alliance Fleuve Congo (AFC) reconnaissent durant les tentatives de médiation des religieux quatre cents (400) personnes civiles5 tuées. Les informations sur place signalent des massacres délibérés inimaginables et des corps qui jonchaient les rues dans les quartiers pris par le RDF/M23. Les informations reçues sur place relatent actuellement des enlèvements, des dénonciations suivies d’éliminations directes, des disparitions forcées, et que les nuits, on entend des cris de personnes agonisantes en train de se faire massacrer dans les maisons closes des quartiers. Sur les réseaux sociaux, des images atroces montrent des corps brûlés, des enfants et des mères tués, et des corps innombrables alignés pour des enterrements. Sont visés principalement les jeunes membres des mouvements citoyens (Lucha et Filimbi) et de la société civile et des mouvements de défense des citoyens comme les Wazalendo dans ces exactions et exécutions sommaires. Des centaines de jeunes ont été massacrés en trois jours. Des massacres se poursuivent.
Ces violations graves des droits humains s’ajoutent aux milliers de victimes de déplacements forcés et des massacres, des viols des femmes6 et d’autres violations graves des droits humains au Nord Kivu depuis juillet 2022. Ils viennent grossir particulièrement les chiffres des massacres de Kishishe d’au moins 300 personnes recensées selon les autorités7 et ceux d’autres localités et cités occupées jusqu’aujourd’hui par les RDF/M23.
Les informations à Gisenyi/Rubavu et des membres des familles à Goma indiquent que pour prendre la Ville de Goma, plusieurs milliers de soldats rwandais appuyés par l’artillerie placée au Rwanda dans les montagnes de Rubavu et dans la Ville de Rubavu, ont traversé la frontière pour attaquer la RDC. Certains chiffrent ces militaires rwandais entre 12000 et 20000 soldats et ce malgré les condamnations molles du Conseil de Sécurité, des pays de l’UE. Les FARDC et leurs soutiens notamment La SAMIDRC qui étaient occupés à contrer l’avancée des rebelles avec l’armée rwandaise du côté de Sake et au nord de la Ville ont été pris de cours par ces entrées massives par la frontière rwandaise même s’ils auraient dû s’y attendre en quelque sorte.
Soutien à la mise en place d’une commission d’enquête internationale non complaisante nécessaire pour combattre l’impunité
Face à ces situations, l’ODHR condamne les incursions de l’armée rwandaise dans un pays souverain et sa participation aux massacres des populations et aux déplacements forcés rendant précaire la vie des populations. Il condamne ces guerres à caractère de dominations ethniques/racistes ou tribales, de pillages organisés et d’expansionnisme territorial violant les frontières d’un pays souverain confirmées par les textes de l’OUA devenue UA.
L’ODHR se félicite des décisions prises le 07 février 2025 par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies « d’ouvrir une mission urgente d’établissement des faits et une commission d'enquête sur les atrocités commises par toutes les parties au conflit armé dans l'Est de la République démocratique du Congo ». Cette commission d’enquête avait été demandée par 79 groupes de défense des droits congolais, régionaux et internationaux,8 pour amener les auteurs des crimes commis durant le conflit en RDC à rendre des comptes. Il faudra qu’il soit suivi d’actions concrètes pour la vérité, la justice et les réparations.
Il se félicite également des décisions prises en date du 13 février 2023 par le Parlement Européen9 qui demandent aux autorités de l’UE de sanctionner le Rwanda pour son soutien au M23 et ses interventions armées en RDC.
L’ODHR comprend que la quête d’une sécurité et paix durables est légitime dans des situations de conflits. Il exprime néanmoins ses inquiétudes face à la quête pressée des confessions religieuses pour négocier la paix avec des auteurs des violations graves des droits humains qu’a subies et continue de subir la population congolaise. La médiation, la réconciliation et la paix ne devraient pas couvrir l’impunité et légitimer les criminels de guerre. Le M23/RDF sont accusés, dans divers rapports d’experts des Nations Unies et des organisations des droits de l’homme, de massacrer des populations civiles et les soldats de la paix. Ils violent délibérément le droit humanitaire. La justice et la réparation devraient être non négociables dans l’approche de médiation.
L’ODHR exprime sa solidarité avec toutes les victimes de ces conflits à l’Est de la RDC et demande qu’une justice impartiale soit faite contre les auteurs et les commanditaires de ces guerres, dans le cadre des réparations et de la guérison des blessures laissées par ces conflits.
L’ODHR soutien et demande qu’une enquête indépendante et internationale soit menée dans la continuité du rapport UN Mapping sur la période 2003 à 2025. Cette enquête devrait documenter les faits et identifier les auteurs des crimes de guerres, des crimes contre l’humanité et d’autres crimes graves qui continuent de se commettre au grand jour et à huis clos dans les zones occupées loin des caméras et de l’œil de la population avisée.
Ce n’est qu’avec la lutte contre l’impunité totale que cette guerre sera arrêtée- et que pourront se réconcilier ces peuples de la région des grands lacs.
Pour la coordination de l’ODHR, Munyandilikirwa Laurent (Président)
1 Voir https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250215-est-de-la-rdc-une-r%C3%A9union-du-conseil-de-paix-et-de-
s%C3%A9curit%C3%A9-de-l-ua-%C3%A9lectrique : Est de la RDC: une réunion du Conseil de paix et de sécurité de l'UA «électrique», article de RFI du 15 février 2025.
2 Voir Déclaration à la presse faite par le Conseil de sécurité sur la situation en République démocratique du Congo | Couverture des réunions & communiqués de presse; et
3 Voir https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250214-est-de-la-rdc-les-religieux-rencontrent-paul-kagame-%C3%A0- kigali-le-m23-fait-une-nouvelle-perc%C3%A9e-dans-le-sud-kivu, article de RFI du 14 février 2025.
4 Voir Goma, DRC: Nearly 3,000 people killed after rebels seize key eastern city, UN says | CNN
5 Voir https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250212-est-de-la-rdc-une-d%C3%A9l%C3%A9gation-religieuse-
re%C3%A7ue-%C3%A0-goma-dans-une-tentative-de-m%C3%A9diation: Est de la RDC: la délégation des Églises catholique et protestante poursuit sa tentative de médiation à Goma, article de RFI, du 12 février 2025.
6 Voir Évasion de prison à Goma : Plus de 100 femmes violées et brûlées vives en RD Congo, selon l'ONU - BBC News Afrique
7 Voir Massacre de Kishishe : le gouvernement de RD Congo évoque un bilan "autour de 300 morts"
8 https://www.hrw.org/fr/news/2025/02/07/le-conseil-des-droits-de-lhomme-de-lonu-ouvre-une-enquete-sur- les-
atrocites#:~:text=Le%20Conseil%20des%20droits%20de%20l'homme%20des%20Nations%20Unies,la%20R%C3
%A9publique%20d%C3%A9mocratique%20du%20Congo.
9 Le PE souhaite suspendre l'accord UE-Rwanda sur les matières premières critiques | Actualité | Parlement européen.