À la suite du forum réuni en 2024 sur le même thème de la démocratie, cette édition m’a paru marquée par un degré de gravité supplémentaire, tant étaient nombreux, parmi les participants, ceux qui évoquaient des situations dramatiques les affectant directement. Ils le faisaient tout en affichant une sérénité et une résilience apparente, en harmonie avec l’environnement pacifiant de Caux.
Le ton était donné dès la session inaugurale avec les interventions de la représentante permanente de Malte au Conseil de l’Europe, Francesca Vettiger, de Philippe Lazzarini, commissaire général de l’UNRWA, de l’ancien président de la Confédération helvétique, Joseph Driss, et d’Ignacio Packer. Tous faisaient le constat lamentable de la perte du sens de la dignité humaine, de la disparition de l’État de droit, de la démolition des règles onusiennes, allant même jusqu’à leur inversion par l’État d’Israël, où l’aide humanitaire est transformée en arme de guerre. Gaza où l’on compte 370 tués parmi le personnel de l’ONU. Si toute capacité d’empathie est morte, peut-on encore parler de démocratie ? Il ne nous reste comme seul recours qu’à décrire, qu’à dire ce qu’il se passe. « Tout silence nous rend complice. »
Parler, échanger avec tout un chacun, prendre conscience de notre commune humanité, c’est là l’essentiel de l’expérience qui peut être faite à Caux, notamment, dans les « groupes communautaires » d’une quinzaine de personnes, à composition constante, se réunissant á trois reprises au cours du forum. Cela, même si, parmi les représentants des cinquante-deux nationalités représentées, tous ne sont pas au même niveau de confrontation aux difficultés, ni d’exigence en matière de courage de vivre. De multiples exemples en ont été donnés par des acteurs engagés, faisant preuve au quotidien d’intégrité, de confiance et de courage, selon les trois thèmes sous lesquels leurs interventions étaient regroupées.
Plus précisément et parmi les multiples sujets faisant l’objet de débats organisés en simultané, j’ai pu, pour ma part, assister, d’une part, aux très pertinents questionnements sur ce qui se passe actuellement aux États-Unis, d’autre part, aux trois tables-rondes sur la situation au Proche-Orient, organisées par la branche française du mouvement.
En ce qui concerne les États-Unis, les intervenants, dont le président de la branche états-unienne d’Initiatives et Changement, se référant, entre autres à James Baldwin, se demandaient si ce qui se passait aujourd’hui n’était pas contenu en germe dans les conventions fondatrices des USA, constatant que ces dernières n’avaient pas été établies sur un principe d’égalité, que cette convention était même considérée comme une menace, - on pense évidemment à la récurrence de la question raciale -, qu’y survivait une mentalité colonisatrice, rendant impossible la généralisation de la confiance, soulignant la distance du discours aux actes, comme le remarquait, en son temps, Martin Luther King. Bref, il nous faut changer notre perception et admettre que les USA ne sont plus l’horizon de nos démocraties. En tous cas, qu’il ne faut pas nécessairement attendre d’eux un ordre mondial. Au milieu des considérations critiques que l’on imagine, notamment à propos de la suppression brutale de l’US Aid, un rappel que « la démocratie est une table où tous ont un siège plus … un siège vide » pour celui ou celle qui n’en a pas d’autre où s’asseoir.
Quant à la situation au Proche-Orient, elle fut tentée d’être traitée, successivement par l’identification de certaines de ses causes, par son arrière-plan religieux et par les tentatives en cours pour sortir de l’horreur. L’identification de ses causes avec le rappel des circonstances de la création de l’État d’Israël, sa négation de la « nakba », l’opposition à son existence entretenue par les États arabes, l’échec des accords d’Oslo, la persistante non-reconnaissance des résolutions des Nations-Unies et, pour finir (!), le 7 octobre, qui a visé, de facto, de façon horrible, des personnes engagées dans un des rares dialogues israélo-palestiniens. L’arrière-plan religieux, lui, s’il fonde en partie, la revendication juive sur la terre d’Israël, entre en ligne de compte davantage, semble-t-il, hors des frontières, avec la montée de l’antisémitisme chez des personnes non directement affectées par le conflit. À noter, l’intervention inter-religieuse récente (Collège des Bernardins, 12/6/2025) en faveur de la cessation du massacre et l’Appel de Paris (société civique et ONGs, 13/6/2025) pour la solution à deux États. Ont été évoquées, enfin, les tentatives diverses pour essayer de définir un avenir possible, basé sur une hypothétique reconnaissance de l’intérêt vital de l’autre et, notamment, l’initiative d’un pèlerinage pour la paix, in situ, le 4 février 2026.
Ailleurs, se passaient d’autres rencontres autour du dialogue arménien-turc-kurde, du Myanmar, du droit des minorités en général, etc., tant est sans fin tout ce qui divise les hommes et dont, au centre de conférences internationales de Caux, on s’efforce de construire des ponts.
Par Patrick Boulte