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Lisbeth Lasserre (1932-2022), une vie au service des autres et au service de l’art

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ELI

Lisbeth Lasserre (1932-2022), une vie au service des autres et au service de l’art

Lisbeth Jäggli est née à Winterthur en 1932. Elle grandit au contact des arts plastiques car ses grands-parents Arthur et Hedy Hahnloser, avaient réuni dans leur maison, la Villa Flora, une vaste collection d’art, issue des amitiés qu’ils avaient nouées, entre autres, avec Bonnard, Vallotton, Giacometti, Manguin et Maillol.

En 1948, son oncle Robert Hahnloser lui fait découvrir Caux. Jeune ingénieur, il s’investit alors à fond dans la reconstruction de l’ancien Palace, afin qu’il puisse accueillir des conférences du Réarmement moral et ainsi contribuer à reconstruire l’Europe. Encore lycéenne, Lisbeth se passionne pour ce travail et prend l’habitude d’aller aider à Caux pendant ses vacances. Elle y fait ses premières expériences de changement, prenant notamment la décision de ne plus tricher aux examens à l’école et d’être toujours honnête en matière d’argent. Elle poursuit ensuite des études de secrétariat trilingue à Zurich, suivant en parallèle des cours d’histoire de l’art à l’université.

A l’issue de ces trois années d’études, elle met ses compétences de secrétariat à la disposition de Caux. Le spectacle « La bonne route », monté par des jeunes, lui donne l’occasion de participer aux représentations en Suisse, puis elle donne ses modestes économies pour permettre à la troupe de répondre à une invitation à se produire en Allemagne et en Scandinavie. Lisbeth accompagne la troupe, rédige des communiqués, sert d’interprète… A Noël 1955, à la fin de cette tournée nordique, elle invite à Winterthur les membres de la revue qui ne peuvent pas rentrer dans leur pays. Sa famille est largement mise à contribution pour chercher des logements, loger certains invités, servir des repas... Lisbeth poursuit ce même engagement pendant plusieurs années, d’abord en Allemagne, où les pièces de théâtre du Réarmement moral sont données notamment dans la Ruhr. Reçue avec quelques membres de la troupe par le chancelier Konrad Adenauer, elle restera amie avec sa secrétaire, Annelies Poppinga.

De retour à Caux, elle commence à s’occuper des peintures dans le Caux-Palace, passant de chambre en chambre pour vérifier ou remplacer des tableaux, afin que les invités à Caux soient bien reçus, un travail qu’elle continuera à accomplir avec le plus grand soin pendant une cinquantaine d’années. Anne-Marie et Alain Tate deviennent des amis pour la vie.

En 1961, à l’appel de Frank Buchman, une pièce s’appuyant sur la vie de Nicolas de Flüe, un ascète du XVe siècle connu pour son rôle de médiateur et de pacificateur, est montée et fait une tournée en Suisse centrale, notamment à Schwyz et à St Gall, patrie des ancêtres de Frank Buchman. Lisbeth reprend du service, sa voiture sert de bureau et elle établit les listes de logement, car toute la troupe est logée chez l’habitant.

Philippe Lasserre lui fait sa demande en mariage pendant la session d’hiver 1968-1969 à Caux. Lisbeth donne sa réponse quelques semaines plus tard après avoir pris le temps de la réflexion dans le silence à Panchgani, Inde. Ils se fiancent à Caux à la Pentecôte, et se marient 6 octobre 1969 à Winterthur.

Le couple Lasserre accepte peu après d’accompagner en Australie la revue musicale « Il est permis de se pencher au dehors ». Ils y travaillent en équipe avec plusieurs Français : Michel Orphelin, Andrée Devésa, Michel Bielak, Martine Algrain, Gérard Gigand, Guy Audrain et Françoise Caubel. Lisbeth et Philippe adorent leur séjour australien et conservent des liens d’amitié durables avec de nombreuses personnes.

Pendant ce séjour, ils se rendent avec Maurice Nosley en Nouvelle-Calédonie, où règne une situation tendue. Là, ils rencontrent le président indépendantiste de l’Union territoriale, Yann Céléné Uregeï, qui déverse aussitôt sur eux toute son amertume envers les Français. Celui-ci, touché par les excuses présentées par Maurice Nosley, les invite à loger chez lui et leur fait découvrir la vie calédonienne. Invité et encouragé par les Lasserre, il fera l’été suivant un voyage à Caux, qui a un effet important sur lui. Pendant son voyage de retour, il s’arrête en Australie pour raconter son séjour à Caux, et il téléphone de là à sa femme pour s’excuser de l’avoir maltraitée. L’année suivante, il invite le couple Lasserre à revenir sur l’archipel, équipé du film africain « Liberté » qu’il avait vu à Caux. C’est l’occasion de faire le tour du territoire, et de rencontrer des personnalités politiques dont le maire de Hengen, Jean-Marie Tjibaou, qui allait devenir une figure politique majeure de l’indépendantisme néo-calédonien.

En 1972, Philippe et Lisbeth s’installent à Paris et trouvent un appartement dans l’avenue des Gobelins, en face de la manufacture. Les mois qui suivent sont consacrés à l’accueil des réfugiés laotiens, amis d’Initiatives et Changement au Laos. Les Lasserre accueillent deux jeunes filles de l’équipe, Chanthanali et Phounsavath, dans leur petit logement. Installés intentionnellement près des universités et grandes écoles parisiennes, les Lasserre ouvrent ensuite leur appartement pour des rencontres d’étudiants. Pendant dix ans, ils recevront de très nombreux jeunes pour des partages à cœur ouvert dans l’esprit d’Initiatives et Changement. Ils s’impliquent également dans la vue de la paroisse protestante voisine, Port-Royal. Lisbeth s’y occupe plus spécialement du Groupe Amitié, une occasion d’accompagner des personnes âgées seules.

Lisbeth organise également avec Véronique Gigand des ateliers d’expérience artistique. Elle y fait découvrir aux participants les œuvres d’art exposées à Caux : les peintures de Jeanne Sigg, la grande fresque dans la salle à manger du peintre finlandais Lennart Segerstråle, réalisée en 1959… Sensible au témoignage de réconciliation de Marc Chagall, elle réalise aussi un diaporama sur les vitraux que cet artiste juif russe avait réalisé pour l’église Saint-Etienne de Mayence, une église gothique très endommagée pendant la guerre. La lumière des couleurs bleue et rouge qui pénètre dans cette église et raconte des histoires de l’Ancien Testament et la crucifixion, la touche particulièrement, ainsi que l’idée que l’artiste a consacré les dernières années de sa vie à une église chrétienne, en Allemagne !

Lisbeth suit les péripéties de la Villa Flora qui avait été ouverte au public pendant 20 ans jusqu’à ce que, en 2014, la subvention municipale soit supprimée et que la maison doive être fermée. Du coup, la collection Hahnloser voyage et est exposée en 2015 à la Kunsthalle de Hambourg, en 2015-2016 au Musée Marmottan à Paris, puis à Halle, à Stuttgart, à Vienne et en 2017, au Musée d’art de Berne. Lisbeth doit surmonter sa timidité lorsque la télévision française l’interviewe à l’occasion de l’exposition à Paris de la collection Hahnloser. Elle passe même au journal télévisé le plus regardé, le 20 heures d’Antenne 2. Le lendemain, les commerçantes du quartier la reconnaissaient dans la rue ! L’intérêt pour ces expositions ayant ouvert les yeux du conseil municipal de Winterthur, celui-ci vote l’achat de la Villa Flora et de son parc, afin d’en faire un musée de la ville avec une participation du Canton de Zurich. Lisbeth n’aura malheureusement pas pu voir sa réouverture, prévue pour 2023.

En 2019, Lisbeth perd son mari Philippe, dans sa 86ème année, après 50 ans de vie commune, une période difficile que Lisbeth surmonte grâce à plusieurs amies et amis et membres de sa famille ainsi que d’une infirmière camerounaise très attentionnée, Chantal.

Un an et demi après ce deuil, elle choisit de retourner dans sa famille à Winterthur et s’installe avec sa sœur Verena Steiner-Jäggli dans « la maison du cocher » en face de la Villa Flora, avec le précieux soutien de ses nièces Beatrix et Theres. Estimant n’avoir plus besoin de grand-chose après son départ de Paris, Lisbeth fait don à ses amis et visiteurs, de sa vaisselle, son argenterie, ses verres, ses tapis anciens et aussi de quelques tableaux, et de tout le contenu de sa cuisine à Chantal ! En 2013, avec sa sœur, elle avait fait don de six tableaux de valeur à la Fondation Caux-Initiatives et Changement, et en 2015, du tableau de Felix Vallotton qui ornait l’entrée de son appartement, à l’Ambassade de Suisse à Paris. A cette générosité remarquable s’ajoute un soutien financier fidèle au travail d’Initiatives et Changement en France et en Suisse.

Elle concluait le récit de ses souvenirs, paru il y a un peu plus d’un an, par ces mots « Quand je pense aux plus de 89 ans vécus sur cette terre, je suis reconnaissante pour l’inspiration que j’ai reçue au travers d’Initiatives et changement, pour l’art et la façon dont notre famille l’a transmis, et surtout pour la foi qui m’a portée.»                                                                                                                                                                                                                                         

Antoine Jaulmes (Paris, janvier 2023)